Critique spectacle : MOOD de Lasseindra Ninja

Un soir, sur instagram, je tombe sur une vidéo teaser de 30 secondes, une ambiance, un univers, une stylistique bien affirmée et des expressions qui me prennent aux tripes tout de suite, je veux voir cette pièce !!!!!!! Elle s’appelle MOOD, et est chorégraphiée par Lasseindra Ninja, artiste engagée, danseuse et pionnière de la culture de la ballroom scène en France, et plus précisément à Paris. Lasseindra danse et performe depuis bien longtemps, fédère via l’organisation d’évènement au sein de la communauté lgbt de la ballroom scène (voir article Le voguing, une Danse née de la discrimination et du racisme) dans le monde entier mais écrire une pièce pour une troupe externe à la communauté en vue de la présenter en théâtre, c’est une première !

 

Crédit photo : Homard Payette

 

MOOD se jouera au théâtre du chatelet du 16 au 19 juillet dans le cadre d’une commande auprès du collectif (la)Horde (à la direction artistique du ballet national de Marseille depuis 2019), dont j’adore le travail : leur collaboration avec Christine and the Queen, avec Burberry ou encore Isabel Marant sont des bijoux animés, qui abordent la Danse d’une manière instinctive et criante de vérité qui me touchent profondément.

Leur projet ici : inviter 4 chorégraphes à la pate bien distincte au sein d’une même représentation. Le fil conducteur au-delà d’être de la famille du mouvement, l’interrogation sur le genre.

 

Affiche : Alice Gavin

 

1ère fois depuis le premier confinement que j’entre dans un théâtre, je vibre déjà !!!!

Les créations de Lucinda Childs Tempo Vicino, Tania Carvalho One of four periods in time (ellipsis), Lasseindra Ninja Mood et Oona Doherty Lazarus se suivent, mais ne se ressemblent pas ; les corps et les âmes des danseurs du ballet national de Marseille s’adaptent et s’imprègnent de l’énergie et de l’histoire de chaque chorégraphe d’une façon impressionnante.

Les lignes, les directions, la géométrie et l’extrême précision de Tempo Vicino , les tableaux vivants de One of four periods in time (ellipsis), les dénonciations virulentes et poétiques de Lazarus et Mood

Le deuxième entracte se termine, les lumières s’éteignent à nouveau, nous sommes plongé.e.s dans le noir, la musique commence, on se croirait dans un club, une atmosphère particulière s’installe, la scène est toujours dans l’obscurité, la tension monte et l’imaginaire part : qu’est-ce que l’on va découvrir ? Est-ce qu’ils/elles sont déjà sur scène ? Combien de danseur.se.s y a-t-il ? Comment vont-ils/elles être habillé.e.s ? L’instant noir me parait long et me rend de plus en plus curieuse mais la musique m’enivre, mon corps bouge sur ma chaise et ma tête s’articule au gré du rythme prenant du premier choix musical de Lasseindra : Maboko na ndouzou de Boddhi Satva.

La lumière s’allume mais reste tamisée, trois danseurs épousés par des combinaisons chairs pailletées subtilement se meuvent ; un tryptique tout en fluidité, une harmonie évidente comme si les trois êtres ne forment qu’un, le corps, l’esprit et l’âme d’une même personne ? Les corps s’approprient la chorégraphie et je sens les danseurs habités ; c’est rond, c’est moelleux et puissant à la fois, les propositions sont surprenantes, pas de répétition tel un canon répété rigoureusement mais une écoute indispensable à quelque chose de profondément maitrisé et hors-code à la fois.
Ça transpire le travail mais l’âme des danseurs arrive à prendre le dessus.
On reconnait ensuite un vocabulaire jazz avec l’arrivée de danseurs et danseuses en triplette , avec de jolies perruques blanches. Un cercle se forme et le trio continue de s’animer mais cette fois avec une écriture plus angulaire s’inspirant de l’Egypte antique, pendant que les interprètes du cercle adoptent des mouvements assimilés davantage au voguing. J’y vois deux univers ou deux pensées qui se rencontrent, se découvrent…
S’en suis un duo, en combinaison sublime signée Mugler, deux esprits s’affrontent. Lequel l’emportera ?

 

Crédit photo : Didier Philispart

 

Le montage musical inattendu et pointu me rappelle les grands shows américains de Janet Jackson ou Beyoncé. Les bruitages à plusieurs reprises d’une arme à feu qui tire m’amène à penser qu’il doit forcément y avoir un vainqueur et un qui ne survivra pas… La chorégraphie est technique mais à nouveau les artistes dépassent cela brillamment.
La scène se vide, et un danseur se lance dans un solo avec un magnifique saut qui m’a value un « oh putain » qui a fait retourner les messieurs devant moi !! J’y vois une note de moderne (version française, aux Etats-Unis ce sera assimilé à du contemporain) que j’affectionne tout particulièrement ; la musique y est toujours aussi envoutante, et on perçoit un discours derrière, en anglais, je suis frustrée de ne pas tout entendre et tout comprendre, mais le danseur captive par ce qu’il expose et transmet : il s’exprime, véhicule des émotions, des réflexions peut-être, des doutes, des souffrances, il prend la scène généreusement, évacue, saute, crie et peut-être finit par s’affirmer… Quoi qu’il en soit Nahimana nous embarque dans une histoire vive qu’il porte seul sur scène avec beaucoup d’émotion.

La dernière partie que j’appelle le tableau rose, c’est l’apothéose, j’y vois de nouveau une harmonie, une connexion entre tous les danseur.se.s, une vigoureuse énergie qui circulent ; le son de Janet Jackson Throb appelle à la libération, à l’émancipation et à l’acceptation pleinement vécue avec beaucoup de sensualité, d’humanité et de grâce. Les passages de coordination et d’ensemble sur la duck walk (marche codifiée dans le voguing) fait monter la pression, les danseurs ne font qu’un et c’est juste magnifique à voir, je ressens de la force, de l’affirmation et de l’assurance.

 

Crédit photo : Théo Giacometti

 

Lasseindra nous raconte une histoire, celle de la transition, une partie d’elle, mais un voyage humain que je vois aussi universel… A travers un langage corporel riche d’influence, jazz, moderne, contemporain, classique, voguing et ses choix musicaux et vestimentaires qui n’ont fait que sublimer le tout, Lasseindra bouscule et dépoussière… On sent des corps libres et apercevons l’essence même de chaque humain qui brûle la scène malgré les pas imposés.
La salle fut secouée et l’énergie véhiculée sur scène a été transmise comme il se doit je crois, un très bel accueil pour ce souffle nouveau.
Lasseindra ou comment faire évoluer les choses grâce à l’art, ou encore…d’une culture underground  à un message universel : être pleinement soi-même et s’affirmer qui que nous soyons ou représentions aux yeux des autres.

Vraiment bravo et merci pour ce moment exaltant.

 

Musiques : Boddhi Satva – Maboko Na Ndouzou(main mix)/  Djeff Afrozilla – So blessed (main mix) / Vjuan Allure – Untitled / Heavy k : Gunsong /  Janet Jackson Throb (mixé par Gabber Eleganza)

Costumes : Erard Nellapin / Mugler par Casey Cadwallader

Danseurs : Sarah Abicht / Daniel Alwell / Mathieu Aribot / Nina-Laura Auerbach / Isaia Badaoui / Malgorzata Czajowska / Myrto Georgiadi / Vito Giotta / Shynna Kalis / Nonoka Kato / Yoshiko Kinoshita / Angel Martinez Hernandez / Hugo Olagnon / Justin Patfoort / Tomer Pistiner / Aya Sato / Dovydas Strimaitis / Elena Valls Garcia / Nahimana Vandenbussche / Leonard Votan

 

BALLET NATIONAL DE MARSEILLE – DIRECTION (LA)HORDE
CHILDS CARVALHO LASSEINDRA DOHERTY